Les 4èmes Journées des Justes par la LICRA France et Suisse – Echos de Lausanne – 18 & 19JUIN 2022

Nous étions quatre de notre délégation Sud-Yvelines – Eure et Loir : Michel & Christine Suchodolski, Nathalie Spaeth et Claude Londner, à nous rendre aux« Quatrièmes  Journées franco-suisses des Justes » organisées à Lausanne par la LICRA. Reçus au Musée Olympique de la Ville avec vue plongeante sur le Lac Léman, sous un soleil de plomb, nous avons vécu des moments inoubliables tant par la qualité de l’accueil que par le grand intérêt des Tables rondes organisées par Abraham Bengio, président de la Commission Culturelle de la LICRA  & Marc Perrenoud, président du Comité scientifique de ces journées. Et, puisque nous sommes au registre des présidents… N’oublions pas Philippe Kenel, président de la LICRA Suisse et  notre cher président Mario Stasi qui, outre son talent de direction, nous a fait preuve de ses prodigieux talents de chanteur, lors de la croisière nocturne sur le lac mais c’est une autre histoire…

En introduction, quelques paroles de bienvenue de Cesla Amarelle, Conseillère d’État du Canton de Vaud, ont permis de « donner le la, le plus parfait» à la session en s’arrêtant sur les trois caractéristiques essentielles de ceux que l’on appelle « Les Justes ». Ils ont en eux « une boussole morale », ils exercent ce qu’ils considèrent comme leur « devoir d’humanité » et ce, avec le plus grand « courage ». On ne pourrait mieux dire.

Mario Stasi a insisté sur les notions de Mémoire et de transmission que l’on doit à ces « invisibles de l’Histoire » pour lesquels « la boussole morale » a compté plus que les lois des États. Avec le recul, il nous est possible de faire naître l’esprit critique qui favorise l’analyse de ces situations de persécution, non pas en termes de comparaison victimaire mais pour mieux comprendre et savoir agir.  

Sylvia Arlettaz, Naïma Ghermani, Michel Grandjean tous trois professeurs des Universités abordèrent « Les différences et les similitudes entre la fuite des Huguenots et celle des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale». Ils ont évoqué  les conditions historiques qui ont contraint les Huguenots français à quitter le royaume : ils furent 200 000 du Sud de la Loire (sur 15 millions d’habitants en France à cette époque) à se diriger vers Genève pour sauver leur vie. Ce fut la plus grande migration religieuse de l’époque moderne. On peut qualifier de  Justes  les personnes qui, dans leur difficile exode,  aidèrent les Huguenots en fuite. Il y en eût de ces indomptables Justes lors de la fuite des Huguenots il y a 450 ans, après le Massacre de la Saint-Barthélémy (1685) et la révocation par Louis XIV de l’Edit de Nantes, pourtant promis à ne jamais être révoqué. Ces  hommes et femmes Justes mirent à l’abri les Huguenots français en fuite et les sauvèrent d’une mort certaine. Ceux qui étaient pris à les sauver, étaient envoyés aux galères, les enfants étaient enlevés à leurs parents et les Huguenots  furent nombreux à perdre la vie sans même quitter la France quand ils ne purent trouver des aides en chemin.

Cindy Biesse, Corinne Bonafoux, Charles Heinberg et Limor Yagil, tous professeurs des Universités ont eux, abordé « Le sauvetage des Juifs dans le contexte franco-suisse ». Genève a joué un rôle important dans l’organisation de la réception des Huguenots. L’un des orateurs insiste sur le terme de « réception » plutôt que « d’accueil » car l’arrivée de ces étrangers ne fut pas de tout repos en Suisse. Une évidente xénophobie commença à s’installer parmi les genevois dont les mœurs des réfugiés français n’étaient pas à leur goût. « Sous l’imagerie du mythe, il faut voir la réalité du quotidien » déclare l’un des orateurs. Le passage aux frontières devint de plus en plus difficile et dangereux car des troupes françaises surveillèrent les zones frontalières pendant plus d’une année. Le roi Louis XIV inspecta de près cet exode, et ses truchements le tinrent informé en permanence du suivi des Huguenots. Par ailleurs, les passeurs exigeaient de très fortes sommes pour l’accompagnement en dehors des zones contrôlées aux frontières. En France, des  Justes  qui aidèrent les Huguenots furent exécutés. Peu à peu, la Suisse octroya des « bourses de charité » aux réfugiés pour faciliter leur intégration et, avec le temps, se créèrent quelques liens d’appartenance, des offres de travail et des autorisations de résidence.

Marc Perrenoud, historien, aborda le cas des Juifs  qui vécurent plusieurs vagues de persécution entre les XVème et XVIIIème siècles sur tout le territoire helvétique. Cependant, la ville sarde de Carouge les accueillit (en 1780) par intérêt économique tout en leur accordant des droits restreints (nature des activités professionnelles, pas de propriété, etc.). Un grand espoir naquit pour les Juifs dans le sillage de la Révolution française laquelle  leur accorda les droits civiques en France mais les Helvètes rejetèrent sans délai tous ces espoirs. En 1848, si la France instaura une nouvelle Constitution et des droits concrets à tous les citoyens, notamment le suffrage universel (aux hommes), la Suisse –elle- n’accorda ces mêmes droits qu’aux Chrétiens. Les Juifs, cantonnés dans les seuls métiers de l’usure étaient considérés comme des émigrés dangereux et durent rentrer en France à laquelle la Suisse recommanda « fermeté et tact  vis-à-vis des israélites ». Il fallut tout le XIXème siècle pour qu’enfin la Suisse reconnaisse le droit de citoyenneté aux Juifs ; l’antisémitisme allemand s’y était fortement opposé à cause de l’abattage rituel pratiqué par eux pour leur consommation de viande. Ce n’est qu’en 1904 que fut reconnue la première communauté juive helvétique.

Même si cette appellation de « Justes parmi les Nations » est accordée par Yad Vashem, le grand mémorial de la Shoah de Jérusalem, avec moult précautions légitimes, l’on peut aussi compter parmi les européens des hommes et des femmes solidaires et courageux qui, au péril de leur vie, ont caché et sauvé des Juifs du génocide lors de la seconde guerre mondiale.

Trois intervenants  suisses Marie-Claire Caloz-Tschopp, Étienne Piguet, professeurs,  Graziella de Coulon du Collectif « Droit de rester », et un français Didier Leschi, Dr de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, ont participé à la dernière table ronde qui traitait « Agir en juste aujourd’hui : enjeux de l’accueil de l’Autre ». Des regards très variés se sont exprimés lors des échanges : certains prônant l’accueil à tout prix des réfugiés, d’autres avançant le principe de régulation des frontières, ou encore proposant la création d’une loi internationale sur « le droit à l’hospitalité » et enfin, un dernier affirmant la position très favorable de la France en matière d’accueil et d’intégration des réfugiés… Le cas des Ukrainiens fut, bien sûr, abordé car ils bénéficient de mesures d’urgence (ATS : Autorisation temporaire de séjour), laquelle est différente de la demande du droit d’asile. 

Il résulta de cette table ronde, de notables divergences de vue sur les principes de l’accueil et de la protection des réfugiés, notamment en fonction de leur pays d’origine et de leurs professions (apparemment les ingénieurs et autres diplômés disposent d’un préjugé favorable) mais, il ressort de ces derniers  débats que l’Europe est loin d’être prête à légiférer unanimement sur le sujet brûlant de cette table ronde dont le thème était « Agir en juste aujourd’hui… »

Les membres de la LICRA et leurs invités ont eu la chance de naviguer sur le lac le samedi soir. Un dîner et de la musique klezmzer en live (Les Marx sisters) ont animé cette merveilleuse croisière au soleil couchant. Les bulles et le bon vin aidant, les croisiéristes d’un soir se sont mis à chanter et à danser avec leur président. What else ? 

Un grand merci aux organisateurs de ces riches et passionnantes journées !

Le DDV été 2022 « Droit d’asile, principes et urgences » vient de paraître.Une vidéo complète de ces journées bientôt disponible sur le site de la LICRA

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