Rafle du Vel d’hiv

Texte d’Eliane Klien Eliane Klein Crif  Région Centre , Présidente d’Honneur de la LICRA du Loiret

En cette journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites- les Tziganes et les Juifs- commises par l’Etat français sous l’autorité du gouvernement de Vichy, et  en hommage aux « Justes des Nations », ces femmes et ces hommes, d’origine souvent modeste, connus ou inconnus, qui ont sauvé des Juifs, en particulier des enfants, pendant l’occupation, malgré les risques encourus. Ils témoignent que les êtres humains ont d’autres options que la soumission à un régime criminel. J’ajoute ici le secours apporté par des organisations juives et des associations caritatives chrétiennes.

Nous sommes, à 1 jour près, 80 ans après « la rafle dite du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942, l’un des évènements les plus tragiques survenus en France sous l’occupation où 12.884 femmes, hommes et enfants juifs ont été arrêtés par la police parisienne à la suite d’un arrangement criminel entre les autorités allemandes et le gouvernement de Vichy.

Elle est ce crime inexpiable qui, lui seul, condamne Vichy et la politique de collaboration.( Laurent Joly).

C’est l’enfer dans le Vel d’hiv: 4 jours et 4 nuits dans la chaleur, la puanteur, les cris, les hurlements..

Puis le transfert en wagons à bestiaux de la gare d’Austerlitz aux camps de Pithiviers et Beaune la Rolande

L’épisode le plus tragique, après la décision des autorités françaises de déporter les mères, puis les enfants.

Les enfants juifs arrachés à leur mère dans les camps de Pithiviers et Beaune la Rolande, puis envoyés, via Drancy , à Auschwitz pour y être assassinés.

Comment en est-on arrivé là?

Grâce aux travaux des historiens, nous avons  la connaissance du processus  ayant abouti à la tragédie inouïe du 20ème siècle, la Shoah. Je cite  ici l’historien Laurent Joly dont les  recherches sur la rafle du Vel d’hiv et le Régime de Vichy nous éclairent, répondant de manière très précise à notre quête de sens. 

Tous les actes criminels du gouvernement de Vichy s’inscrivent « dans une culture européenne ayant fantasmé la mort des Juifs pendant des siècles »( Gorges Bensoussan), accompagnée par la volonté d’éliminer les « vies inutiles ». ».La tradition antisémite en France, l’enracinement de l’activisme anti antijuif à la veille de la guerre vont sévir sans frein dans l’administration et la les services de police ( à quelques exceptions près) au plus  haut niveau de l’Etat vichyste et de ses ministres, en particulier depuis la nomination de Léon Blum et de ses ministres juifs ». .(Laurent Joly)

A partir du printemps 1942, la politique de Vichy devient la complice zélée du projet nazi d’extermination des Juifs: »Vichy avait créé un monstre bureaucratique ne pouvant qu’aider les nazis à parvenir à leurs sinistres fins: la destruction du peuple juif « (Georges Bensoussan)

 Ainsi, la rafle du Vel d’Hiv fut précédée par le fichage, l’exclusion, la spoliation,  l’internement des Juifs, avant même  la demande des Allemands.

 Une petite centaine de victimes  de la rafle du Vel d’Hiv  survivra à l’enfer des camps nazis.

Laval, comme Bousquet, ont mené à la mort les enfants du  Vel d’Hiv, Juifs français.

Toutes les mesures prises, signant la faillite de la Démocratie, ne provoquèrent que très peu de protestations. »Combien  furent précieux, alors, les cris de quelques rares protestataires dans le désert de la soumission« .(Michel Winock).

A cet instant, je rends hommage à plusieurs membres éminents de l’Eglise de France, catholiques et protestants- sans les citer tous-  je m’inspire des cahiers clandestins de Témoignage chrétien/ année 1941, consacrés à la résistance spirituelle des Chrétiens.

(Le 22 juillet 1942, quelques jours après la rafle du Vel d’hiv, le cardinal Suhard ,au nom des cardinaux et archevêques de France assemblés à Paris, écrit la première protestation officielle de l’Église de France contre les persécutions dont sont victimes les Juifs. Cette lettre n’est pas lue en chaire, comme le furent celles des évêques de Toulouse ,de Montauban, de Marseille, Nice,  Nancy,  des cardinaux de Lille et  de Lyon un mois plus tard, mais diffusée parmi les curés.)

A Paris, le Père Devaux , de la congrégation Notre Dame de Sion, aide des familles et des enfants juifs à se cacher et organise une filière qui agit en Sarthe notamment.

Le Monastère qu’il dirige sert de plate -forme et d’escale pour des centaines d’enfants juifs.

Le Père Devaux a été décoré de la Médaille des JUSTES à titre posthume.

Monseigneur Saliège, Archevêque de Toulouse, fit entendre sa voix après la rafle du Vel d’hiv.

Quelques passages de sa lettre, lue le 23août 1942: 

« Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux…contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères, comme tant d’autres. » ( texte diffusé par 30.000 exemplaires des Cahiers de Témoignage chrétien).

Le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia a recommandé la lecture de cette lettre dans toutes les synagogues.

Exemple suivi par Mgr Théas de Montauban, Jean-Joseph Moussaron, d’Albi, et d’autres, cités plus haut

A Lyon, en août 1942, le Cardinal Gerlier, Primat des Gaules, refuse de livrer plus d’une centaine d’enfants juifs réclamés par le Préfet (Angeli) pour qu’ils soient déportés.

Le Pasteur Boegner, Président de la Fédération protestante de France, écrivit au Maréchal Pétain le 20 août 1942 une lettre de protestation et d’intercession en vue d’obtenir une inflexion radicale de la politique antisémite mise en oeuvre par le régime de Vichy.

Le Pasteur André Trocmé et sa femme, ¨Magda, aidés par les habitants  du Chambon sur Lignon mirent en oeuvre un sauvetage de grande envergure de centaines de familles et d’enfants juifs ( entre 3.000 et 3500 personnes).

Ces Prélats  et ces Pasteurs furent reconnus Justes parmi les nations par YAD VASHEM.

Malgré ces prises de positions courageuses , il reste que la Shoah, ce crime contre l’Humanité perpétré sur le sol européen est advenu dans le silence  assourdissant , l’indifférence des nations, de leurs dirigeants, à l’origine du terrible sentiment de solitude, d’abandon ressenti par de si nombreux Juifs de France.

Cette notion de silence, synonyme de d’indifférence, de lâcheté , n’est pas sans écho aujourd’hui.

Ainsi, « des prémices de la guerre jusqu’à sa fin, les gouvernements démocratiques, les organisations humanitaires internationales, le Pape, etc… se sont tus devant la persécution et l’extermination des Juifs »( Gérard Rabinovitch), malgré les appels à l’aide,  les informations sûres qui leur parvenaient. Par exemple le rapport du résistant polonais  Jan Karski à Roosevelt.

En fait, très rares étaient les leaders démocrates, tel Winston Churchill, qui prenaient la mesure de ce qui se dessinait.

L’absence de volonté de sauver les juifs fut masquée par de nombreux alibis marqués par l’aveuglement et la soumission.. A la Conférence d’Evian, en 1938, la SDN avait maintenu les législations restrictives sur l’accueil des Juifs menacés de mort. Aucune aide ne fut décidée , seulement un prêche de bons sentiments. Toutes les frontières se fermèrent, à quelques exceptions près( Shangaï).La conférence n’aura servi qu’à justifier la politique allemande contre les Juifs.

En décembre 38, Von Ribbentrop, ministre des affaires étrangère du Reich nazi, invité à dîner au Quai d’Orsay, exige que les ministres juifs; Georges Mandel et Jean ZAY, ne soient pas présents: Le Quai d’Orsay s’exécuta.

Comme l’a écrit l’historien Georges Bensoussan, » l’Histoire du Régime de Vichy illustre cette fragilité de la Démocratie quand ses principes fondamentaux sont bafoués, quand on permet à des idéologies totalitaires de pénétrer l’espace républicain ».

Ainsi, le travail d’histoire, cette mémoire qui nous oblige, évoqués sans pathos ni invocations moralisatrices ou victimaires, n’ont de sens que s’ils nous conduisent à comprendre les mécanismes politiques à la source des totalitarismes génocidaires passés, présents et à venir.

C’est à dire, « à voir ce que l’on voit », à décrypter la férocité du présent, ce qui donne tout son sens à cette commémoration,,,..

Ceci m’amène à exprimer mon inquiétude face à plusieurs phénomènes, la violence radicale s’amplifiant dans notre pays, minant notre démocratie, notre civilisation, les principes universalistes qui la fondent, comme la liberté d’expression, la laïcité, l’égalité homme-femme, etc..

Dans notre monde hyperconnecté et surinformé, internet et les réseaux sociaux, la progression incessante de la technologie va de pair avec celle de l’ignorance et de l’obscurantisme, à la source du complotisme: réseaux sociaux devenus les relais de 2 idéologies totalitaires, l’islamisme et le mouvement « woke », ayant gagné de nombreux milieux en France.

Une caractéristique : l’antisémitisme,  grandissant sans cesse dans notre pays, »prenant des visages changeants épousant les formes et le langage d’une époque »(Georges Bensoussan) terrible constat, sa pérennité survivant à toutes les convulsions de l’Histoire, mutant comme un virus indestructible , « israélophobie qui a tué en France »( Richard Prasquier) »cet antisémitisme nouveau qui insulte et blesse et qui, lorsqu’il tue, s’épargne les assises et appelle à la haine sur les réseaux sociaux ».(Georges Bensoussan).

Si la société française n’en a pas fini avec l’antisémitisme, d’autres citoyens français sont victimes d’actes allant jusqu’au meurtre

Je rappelle, à cet instant,  que la moitié des actes terroristes commis en France, chaque année, visent des chrétiens.

Ainsi, le jeune médecin Alban Gervaise, égorgé, au nom d’Allah, le 10 mai 2022 devant l’école catholique  de Marseille où il allait chercher ses 2 enfants , de 3 et 7 ans. Meurtre barbare qui, comme les autres, suscite indifférence ou même silence de plomb.

Nous assistons à un déni de la réalité , ce « cancer qui ronge le société »( Elisabeth    Badinter)couvert par des alibis clientélistes, psychiatriques, sociologiques..

Ce déni inquiète de nombreux citoyens français.

Aussi, face au climat d’affrontement entretenu par des fanatiques, face à « la volonté de détruire l’idée d’humanité commune »(Pascal Bruckner), l’unité du genre humain, comme l’a écrit l’historien Georges Bensoussan,  » il incombe aux pouvoirs publics de faire respecter la loi de la République, d’avoir le courage des mots, contre la barbarie, la liberté a un prix, c’est celui du combat ».

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